La Ferme de Cambronchaux est évoqueé par ce quatrain :
IX.40
Prés de Quintin dans la forest bourlis,
Dans l'Abbaye seront Flamans ranchés :
Les deux puisnais de coups my estourdis,
Suitte oppressée & garde tous achés.
« Quintin » évoque l’église de Wodecq, dédiée à Saint-Quentin ; elle a d’ailleurs conservé ce nom de nos jours. En langue ancienne, « Quentin » se disait et s’écrivait « Quintin ». C'est l'église du centre du village, qui se différencie, à l'époque d'Yves de Lessines, de l'église située dans le Hameau de La Pierre, qui constitue le lieu de peuplement primitif, en bordure de l'ancienne chaussée romaine.
« Dans la forêt bourlis » évoque le déboisement de la forêt qui s'étendait jadis entre la Place du Village de Wodecq, où se dresse l'église, et la Ferme de Cambroncheau ; ces terrains furent défrichés entre le onzième et le treizième siècle ; à l’époque d’Yves de Lessines, on gardait encore un souvenir très vif de ces opérations.
« L'Abbaye » évoque la Ferme de Cambronchaux, qui se dressait à la forière de l’ancienne forêt. En effet, c'était une dépendance de l'Abbaye de Cambron, dont le patrimoine et les activités sont documentées dans un fond d'archives conservé à l'Archevêché de Malines.
Les documents anciens écrivent « Cambronciel », ce qui se prononçait « Cambronchîl ».
Sa localisation est proche de l'église Saint-Quentin, située sur la place du Village de Wodecq. Le chemin qui traverse le Hameau du Buis conduit directement jusqu'au centre du village. La Carte de Ferraris montre la concentration des habitations et des parcelle privées, de part et d'autre de cette route, ainsi qu'un second chemin, qui contourne le hameau, en passant par le nord et permet également de rejoindre le Hameau de Haillemont, en franchissant le Ruisseau du Ronsart par un pont. Actuellement, cet accès n'est qu'un chemin agricole sans aucun revêtement; par contre, les deux chemins existent toujours sous la forme de routes macadamisées.
A l'emplacement de l'actuelle grange de la Ferme de Cambronchaux, qui date du 18ème siècle (1783), s'élevait jadis, dans des proportions plus modestes, la grange aux dîmes de ce monastère. Il en est fait mention dans le Viel rentier d'Audenarde.
Le quadrilatère présente des bâtiments en briques et calcaire sous bâtière principalement de tuile.
Le remarquable porche-colombier est ouvert par une charretière à piédroits chaînés et arc cintré rehaussé de quelques pierres et d’une clé datée de 1791 et gravée d’une crosse.
De part et d’autre, ne subsistent du dix-huitième siècle que le volume et le mur extérieur gauche aveugle.
La grange présente un soubassement en pierre de taille, des portes charretières à encadrement harpé en arc surbaissé ; du côté de la cour, on trouve une clé millésimée ; le mur goutterot est daté par des ancres et aligne une porte centrale et quatre fenêtres en arc surbaissé en pierre sur des montants harpés ; le pignon débordant présente un pinacle ; perpendiculairement à la grange, les étables et bergeries ont été partiellement remaniées ; en façade, à droite, on trouve des baies de type tournaisien simplifié.
Le logis d’un niveau profondément remanié est construit sur des caves hautes probablement du seizième siècle ; entre les pignons débordants, la bâtière d’ardoise en écaille est plantée de deux lucarnes originelles et d’un clocheton ; la façade arrière, sur une base de moellons, présente des baies rectangulaires avec réemploi de quelques pierres anciennes.
Prolongeant le logis vers la gauche, les anciennes étable et écurie sont desservies par des portes à linteau droit sur jambages harpés ; les fenêtres de même forme présentent des montants monolithes et un appui intégré à une chaîne, rappelant la courte base en pierre de taille.
A l’entrée du chemin pavé conduisant à la ferme, se trouve une chapelle probablement du dix-huitième siècle en briques blanchies sous bâtière de tuiles entre pignons débordants.
Le deuxième vers du quatrain ne fait pas tant allusion à l'abbaye qu’a sa dépendance : la grange aux dîmes, en évoquant un événement historique : des flamands y séjournèrent – les chroniques historiques de l'époque en font foi – soit comme occupants, soit comme prisonniers ; en effet, « ranchés » signifie « entassés » dans un lieu exigu ; le terme provient du verbe picard « ranchir », qui correspond à l’ancien français « rancher ». Le mot est voisin du « ran de pourchô », la soue aux cochons, qui constituait le local le plus exigu et le plus sombre de toutes les fermes de la région ; en bref, « ranchés », c’est « entassés comme des porcs ».
Les chroniques flamandes de l’époque parlent de cet événement qui, quoiqu’anecdoctique, n’en constitue pas moins un détail révélateur : archives, chroniques et comptes en témoignent.
La majuscule pour l’Abbaye est destinée à attirer l'attention du lecteur. Elle montre que, dans l’esprit de l’auteur du texte, Yves de Lessines, il ne s’agit certainement pas de n’importe quelle abbaye : le moine parle de la sienne, la seule dont il peut être question.
Cette occupation de la ferme par les flamands eut lieu pendant la fameuse guerre qui opposa le Comte de Flandre et le Comte de Hainaut pour la possession des Terres de Débat, qu’évoque Yves de Lessines dans le quatrain suivant :
V.85
Par les Sueves et lieux circonvoisins
Seront en guerres pour cause des nuées
Camps marins locustes et cousins,
Du Leman fautes seront bien desnuées
De nos jours, la Ferme de Cambroncheau se situe à l’extrémité du Hameau du Buis, qui évoque la caractéristique forestière du terrain avant le grand essartage qui s’est achevé au treizième siècle, à la faveur d’un accroissement des populations et d'un adoucissement du climat.
Dans son livre sur l'Oeuvre du Vieux Moine et le Dernier Chemin des Templiers, Rudy Cambier se plaît à imaginer Yves de Lessines montant de la Ferme de Cambronchaux, vers la Croix Philosophe, par le chemin creux qui permettait de rejoindre l’antique chaussée romaine, en évitant le centre du village de La Hamaide et son château, dont il ne subsiste aujourd'hui que le bâtiment des écuries.
On suivra la même route.
Son caractère de chemin creux, à mesure qu’il s’approche de la crête de la colline suffit à attester de son ancienneté ; sa fréquentation est au moins contemporaine de la construction de la grange aux dîmes de l’Abbaye de Cambron, tandis que la mise en culture des grandes parcelles agricole résulte du grand essartage qui s’est achevé vers la fin du treizième siècle.
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