La Chaussée Brunehaut constitue une ancienne voie romaine en provenance de Bavay et se dirigeant vers Velzeke. Comme de nombreuses voies romaines, cette route suivrait le tracé d’une ancienne voies gauloises, peut-être elle-même établies sur une ancienne piste néolithique permettant à l’accès à une zone de chasse ou à une zone maritime. Les anciennes voies de communication gauloises auraient facilité l'invasion du pays conduite Jules César ; ce dernier n'en parle pas dans son « De bello gallico », mais il n'évoque jamais non plus aucune difficultés particulière de progression de ses troupes à travers la Gaule, malgré l’important boisement de l’époque, ce qui pourraient expliquer la rapidité des conquêtes romaines.
Bavay constituait un centre stratégique important de la Gaule Belgique, dont la capitale était Reims. C'est une ville importante au deuxième siècle de notre ère, car elle constitue un trait d'union entre les routes qui rejoignaient Cologne et celles qui se dirigeaient vers Boulogne-sur-mer et Amiens. Sept voies se réunissaient à Bavay. L'une d'elle part vers Blicquy et s'y divise en deux : une branche se dirige vers la côte belge (en passant par les Villages de Moustier et de Frasnes), tandis que l'autre se dirige vers Velzeke, puis vers Gand et Terneuzen. C'est cette branche de la route provenant de Bavay qui traverse le Hameau de la Pierre, après avoir contourné le Mont de Mainvault et traversé le Village d’Oeudeghien.
Le carrefour de La Pierre représente le coeur de l'ancien village de Wodecq : le lieu d’habitation le plus ancien, au croisement entre l’antique chaussée romaine et le vieux chemin de Lessines à Renaix par le Hameau de Fourquepire. A proximité, sur le Site du Blanc Scourchet, se trouvait également l'église primitive du village, dédiée à Saint-Quentin, qui n’a été détruite qu’au 15ème siècle et ne fut pas reconstruite, à la faveur de l’église située au centre actuel du village.
L’occupation humaine du village est fort ancienne puisqu’on a découvert dans le Hameau du Paradis des silex taillés de l’époque néolithique.
Le Hameau de La Pierre doit son nom à une pierre levée dont la présence est encore attestée au 18ème siècle par les atlas de l'époque, en particulier la Carte des Provinces des Pays-Bas d’Eugène Henry Fricx publiée entre 1706 et 1712. A côté de l’indication du lieu est noté le sigle qui sert traditionnellement à représenter les pierres levées de toute nature. L’emplacement exact n’a pas encore pu être déterminé avec certitude. Sa localisation précise nécessiterait des investigations dans les propriétés riveraines.
Le hameau est resté le site le plus peuplé du village jusqu’à la fin de l'ancien régime.
Dans son poème, Yves de Lessines y fait allusion :
V.75
Montera haut sur le lieu plus à droite
Demeure assis sur la pierre quarree
Vers le midi pose a sa senestre
Baston tortu en main bouche serree
Ayant décodé les indications gravées sur les doubles tables jumelles conservées sur les deux autels latéraux de l’église du Village de Moustier, l’Attendu gravit la pente un peu pavée de l’antique chaussée.
Yves de Lessines propose de s'asseoir sur la pierre carrée, alors qu’il est presqu’arrivé au terme du long voyage dont les itinéraires sont décrits à travers le texte des Centuries.
La Pierre, c’est l’élément caractéristique qui a donné le nom du hameau. Une ancienne chronique fait référence à cette dénomination précise : en 885, un groupe de Normands campaient à cet endroit précis, très exactement « apud lapidem », c’est-à-dire à côté de la pierre. Le terme latin « lapis » a bien le sens de « caillou », tandis qu’un chemin recouvert de chaux aurait été nommé une « via calcaria », selon le nom que portait la route au Moyen Age : le Chauchie, qui est appelée de cette manière par le Vieil Rentier d’Audenarde ; c’est encore le cas de nos jours : la Chaussée.
Le terme picard « pire » ou « pîr » désigne un chemin empierré lorsqu’il est employé au masculin : « é pîr », c’est un chemin ; par contre, au féminin « enn pîr », c’est une pierre. Pour désigner le hameau, on emploie le féminin « al pîre », mais jamais le masculin, qui donnerait « au pîre ».
Le terme « quarrée » signifie aussi bien équarrie que carrée. Cette sobre expression décrit parfaitement la table d’un dolmen.
« Senestre » signifie « gauche » ; la langue française a conservé le mot « sinistre », dont le sens est drastiquement réduit. « Vers » est la forme provenant du latin « versus », qui signifie « tourné », au terme d’une évolution phonétique normale.
Sous une apparence facile, le quatrain comporte une énigme. Si le voyageur s’assied en se tournant vers le midi, il ne peut pas avoir le sud à sa gauche. La combinaison des deuxième et troisième vers implique une impossibilité manifeste. Dès lors, il faut se pencher sur la curieuse construction du troisième vers, en tête duquel l’auteur a placé un mot qui prend un sens logique par une combinaison avec le quatrième vers. Un lettré médiéval comprenait immédiatement la raison de la position de cette préposition : si, en picard comme en français, la construction paraît boiteuse, elle s’avère tout à fait ordinaire dans la poésie latine. Utilisant un procédé de versification latine, Yves de Lessines veut faire comprendre le mot en picard et en latin, qu’il utilise couramment l’un comme l’autre. Dans cette dernière langue, le terme « versus » provient du verbe « vertere », qui signifie tourner et retourner. Ainsi, pour trouver le chemin caché, il faut retourner le quatrain, d’autant plus que, dans la langue ancienne, le mot « vers » avait le même sens qu’aujourd’hui : l’unité de base de la versification ; il désigne une strophe, quels qu’en soient le nom et la longueur ; en outre, « versus » désigne le sillon creusé par un araire, avec la même idée de retournement, qu’il s’applique à la terre, et la même idée de tracer un chemin. En combinant les deux significations, on découvre que « vers le midi posé à senestre » n’implique pas de se tourner vers le sud, mais d’être tourné de manière à avoir le sud à sa main gauche.
Si le voyageur se place de cette manière (le sud est indiqué par le soleil de midi plein, à sa plus haute position dans le ciel), il regarde forcément vers l'ouest. Par rapport au carrefour de La Pierre, si l'on regarde dans cette direction, il voit le Blanc Scourchet, qui constitue le terme final de son périple.
Le bâton tordu évoque à la fois la crosse d’un évêque, qui ne nous intéresse guère, la crosse du prieur et la crosse de l’abbé, qui figure sur les armoiries du Monastère de Cambron, l'abacus, le bâton du Maître de l'Ordre du Temple, mais aussi le bâton de commandement du centurion, qui était également tordu, s’agissant en principe d’un cep de vigne ; en effet, dans l’armée romaine, un centurion était un officier qui pouvait commander une centurie ; chaque légion comportait 60 centuries.
L’image du bâton tordu évoque la coutume féodale de l’investiture « par rain et baston », c’est-à-dire par la branche et le bâton. Yves de Lessines avait vu son propre père, Jehan Despretz de Quieuvrain, être investit de cette manière de sa charge de châtelain de Lessines et de Flobecq par Jean d’Audenarde.
D’une manière générale, la remise d’un bâton était le signe solennel par lequel on confiait une mission importante à quelqu’un.
Dès le deuxième quatrain de son poème, il assimile les branches avec les roseaux, qui se disent « cistels », « cistiels », « cistiaux » ou « cîteaux » pour donner leur nom à l’Abbaye de Cîteaux, dont provient l’Ordre cistercien, après sa fondation par Robert de Molesmes le 21 mars 1098, soit le jour de la Saint Benoît ; c’est dans cette abbaye que Bernard de Fontaine prendra l’habit monastique en 1112, avant de devenir Bernard de Clairvaux, après la fondation de l’Abbaye de Clairvaux en 1115 à la demande d’Etienne Harding. L’Abbaye de Cîteaux tire son nom de son implantation sur un terrain inculte où croissaient les roseaux et qu’il fallut assainir pour lancer des cultures.
Ainsi, Yves de Lessines se voit-il à la fois investi par le « rain », comme moine cistercien, et par le « baston », dans ses fonctions de prieur, puis d’abbé. Mais n’a-t-il pas non plus été chargé d’une importante mission de sauvegarde concernant l’Ordre du Temple et la cachette d’un trésor ?
Par contre, l’abacus, signe de son autorité à la tête de l’Ordre du Temple, Jacques de Molay, emprisonné par Philippe le Bel, ne l’a plus en main.
Toutefois, le terme « main » peut recevoir une autre signification que son sens anatomique ; au Moyen Âge, une main, du verbe « manoir » issu du latin « manere », qui signifient rester ou habiter, est très souvent une maison, une résidence, une habitation ou une demeure.
Dès lors, le vers peut se comprendre de la manière suivante : le bâton tordu est dans la maison. Serait-ce le petit abri blanc que l’Attendu peut voir depuis la « pierre quarrée » ?
En picard, « serrer » veut dire « fermer », au sens de fermeture, de clôture ou d’obturation, de manière concrète, avec une barre, une serrure ou des matériaux, ou de manière imagée ; d’une manière générale, une « bouche » est une ouverture.
Dans un sens anatomique, la bouche serrée affirme que, dans le cadre de l’importante mission qui lui a été confiée, Yves de Lessines s’est tu : il a conservé le secret sur tout ce qui lui a été confié.
D’autres significations complémentaire peuvent interpeller le lecteur : « le bâton tordu est dans la maison et l’ouverture est solidement close » ou « le bâton tordu est dans la maison où une petite pièce à côté d’une grande est gardée fermée », sans oublier l’idée de tonneaux enfermés et d’un local de décharge bouché, évoquée par le quatrain suivant :
VIII.8
Prés de Linterne dans de tonnes fermez
Chivaz fera pour l'Aigle la menée
L'esleu cassé luy ses gens enfermez
Dedans Turin rapt espouse emmenée
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