Les choses ne se passèrent pas selon les prévision du plan de sauvetage élaboré et exécuté dans le plus grand secret. L’Ordre du Temple n’a pas pu surmonter l’épreuve, qui ne fut pas une simple tempête, mais un véritable un ouragan. Si les trois hommes avaient magnifiquement paré toute agression contre les biens les plus esseintiels de l’Ordre du Temple, il n’avaient pas prévu que le Roi de France s’attaquerait directement à ses membres : les Templiers.
Le Pape, Clément V, a trahi les Soldats du Christ au profit des intérêts de sa descendance adultérine. On comprend mieux sa conception personnelle de l’éthique lorsqu’on sait qu’il avait distribué à sa famille les biens que les Templiers possédaient dans le Midi, au plus vite, avant même qu’il ne soit question de supprimer l’Ordre du Temple, pour gagner de vitesse les autres rapaces, à commencer par le Roi de France, Philippe le Bel, et garantir le fruit de ses rapines par le fait accompli. Ni ses neveux, ni sa maîtresse, ni son fils n’étaient disposés à restituer leur nouvelle fortune. C’est ce que les Centuries appellent « le fait Gothique », le mauvais coup de Bertrand de Goth, puisque tel était le nom laïc de Clément V, qui avait agi comme un barbare :
I.42
Le dix Kalendes d'Auril de fait Gotique
Ressuscité encor par gens malins,
Le feu estainct, assemblée diabolique,
Cherchant les os du d'Amant & Pselin.
Dès lors, le Pape n’offrit aucune protection à l’Ordre du Temple, même s’il fit l’économie de leur procès « pour des raisons connues de lui seul ».
Suivant une idée ancienne, évoquée se prédécesseurs, Grégoire X, Nicolas IV et Boniface VIII, de concert avec Saint Louis, le Roi de France, Philippe le Bel, avait souhaité la fusion de l'Ordre du Temple avec l’Ordre des Hospitaliers, sous sa direction, afin de constituer une force suffisante pour préparer une nouvelle croisade à laquelle il paraissait attaché, tout comme le Pape, Clément V. L'affaire fut mise à l'ordre du jour de plusieurs conciles, sans grand succès ; en 1307, fut même élaboré un projet dans lequel le fils de Philippe le Bel, Louis de Navarre, aurait été le grand maître du nouvel ordre ; l’échec de cette tentative résulte de l'opposition obstinée du Maître du Temple, Jacques de Molay, mais aussi de l'agressivité du Garde des Sceaux, Guillaume de Nogaret. Ce fut encore l’objet du Concile de Vienne, en 1311 : statuer sur le sort de l'Ordre du Temple, discuter de la réforme de l'Église et organiser une nouvelle croisade.
Quelques mois après l’arrestation massive des Templiers dans le Royaume de France, le vendredi 13 octobre 1307, Jacques de Montignies avait curieusement démissionné de sa charge ; ce fut un fait d’autant plus exceptionnel dans les annales du monastère qu’il fut expressément autorisé à continuer d’y demeurer ; il ne mourra qu’en 1315, la même année que l’élection d’Yves de Lessines à la charge de prieur.
Ensuite, Yves de Lessines avait gardé le silence ; il comptait sur l’arrivée de l’Attendu, dont il parle plusieurs fois dans son poème, comme dans le quatrain suivant :
Sur le milieu du grand monde la rose,
Pour nouveaux faicts sang public espandu:
A dire vray on aura bouche close,
Lors au besoing viendra tard l’attendu.
Mais l’Attendu n’est pas venu :
Tant attendu ne reviendra iamais
Dedans l’Europe en Asie apparoistra
Un de la ligue yssu du grand Hermes
Et sur tous Roys des Orients croistra
Il était le dernier des trois survivants qui avaient été mis dans la confidence, qu’il évoque également, dans le quatrain suivant :
Du Triumvir seront trouvez les os
Cherchant profond thresor aenigmatique
Ceux d’alentour ne seront en repos
De concaver marbre et plomb metalique
S’il se tait, pour ne confier son secret que sous la forme d’un poème énigmatique, c’est parce que les puissants ont fait régner jusqu’au milieu du quatorzième siècle une véritable terreur à l’encontre de l’Ordre du Temple, dont ils avaient accaparé les propriétés immobilières ; il n’était pas seulement inconcevable de prendre sa défense, il était également dangereux d’en parler ; ainsi, jusqu’aux environs de 1350, les seuls auteurs qui évoquent les Blancs Manteaux prennent soin de n’en parler que de manière allusive et par des détours de langage.
Entre la mort de l'abbé lessinois et le passage du médecin provençal, le manuscrit du grand poème est resté dans la bibliothèque abbatiale, probablement inconnue et certainement incomprise.
Sans doute en existait-il une ou plusieurs copies…
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